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Si les mots nous étaient contés

Ici seront retranscrits les textes collectés et reçus qui vont étoffer au fur et à mesure ce grand dictionnaire collectif. Merci à toutes et à tous pour vos contributions. 

A

L'amour, c'est la vie partagée.

 

L'amour, c'est la guérison de ma maman, Georgette, grâce aux soins de sa mère. J'avais une petite sœur au berceau. Mon petit frère n'était pas encore né. Nous habitions dans l'Aisne, une maison avec un grand jardin et des arbres fruitiers. Elle était paralysée complètement. Au début, ma grand-mère lui donnait à boire avec une plume, lui humectant simplement les lèvres, puis au verre et ensuite à la tasse. Ce fut un miracle. C’est ça l’amour.

 

L'amour, c'est celui de mon mari, James, perdu trop tôt d'une terrible maladie.

 

L'amour, c'est une réaction chimique. Ma copine d’Espagne, Camille. Ses cheveux courts, ses yeux bleus.

 

 

B

 

Le bateau, c’est le refuge. La tanière. Mes cheveux sans peigne, le temps sans rendez-vous : l’horloge qui s’arrête. Mon corps souple et fragile dans sa coque dure. C’est son cœur qui bat la vague quand le mien cesse, ses bras qui m’enlacent quand je pleure. C’est la joie de l’effort et mes mains caleuses sur ses bouts salés.

 

Le bleu, c'est au petit matin, la fumée de ma gauloise, son odeur se mêlant à celle humide de l'herbe fraiche. Les arbres qui bordent la terrasse tremblent doucement et j'entends au loin les chiens des granges alentour, leurs yeux crevant l'aube, leurs pattes raides et leurs cous tendus, aboyer au soleil qui se lève. Je ne bouge pas, je ferme les yeux, je souffle doucement le bleu de ma cigarette qui se dilue dans la transparence de l'air.

 

Le bonheur, c'est la naissance de ma fille. J'avais tricoté tout son trousseau.

Elle a été mon seul enfant, le bonheur de ma vie.

 

 

C

 

Le carnaval, c'est l'odeur des pralines et de la barbe à papa. C'est une orgie de couleurs avec les costumes bigarrés de la foule travestie, de sons avec la musique, les exclamations, les cris de joie et les rires. Tout ça nous soule et nous excite ma sœur et moi. Puis résonnent les trois coups de canon et le défilé commence. On attend avec impatience, sous le brillant soleil de Nice, assises sur la tribune en bois de la Place Masséna, l'arrivée du char de sa majesté Carnaval. C'est le roi de la fête, grotesque, énorme et un peu effrayant qui va nous faire pleurer de rire, mais dont le souvenir viendra longtemps hanter mes cauchemars d'enfant.

 

La chaleur, ce sont ces quelques jours passés avec mon mari Jacky, au bord de la mer. Il y avait aussi sa fille, Carole, notre fils Fabien dans son couffin et Bob, notre gentil berger allemand. C’est dans mon souvenir le sable brûlant, les moustiques, le beau temps ; le bonheur.

 

Le chien, c'est le jeu.

 

 

D

 

Le départ n’est pas toujours lâche ou irresponsable, il peut être un moyen de ne pas étouffer. Partir peut être un cadeau qu’on fait aux autres et à soi-même avant de tout abîmer.

 

 

E

 

L’équilibre n’est pas un état, mais une confiance nichée en soi, comme un centre de gravité. La possibilité, après la tête sous l’eau ou les pieds dans le vide, de retrouver le fil et de continuer à le tisser, pas tout à fait le même, mais pas totalement autre. Égarement(s) – terreur(s) – deuil(s) – dérapage(s) – folie. On peut en revenir et dire : Voilà, je suis là.

 

F

Ferme, c’est un lieu de solitude et d’ennui, je me revois  désœuvrée, adossée au mur dans la chaleur de l’étable regardant mon père couper des betteraves pour nourrir les vaches. Je me souviens du sentiment d’angoisse qui m’envahissait quand la météo menaçait les récoltes, source de revenus important pour toute la famille.

I

 

L’image est un éclat du réel, pas sa totalité.

 

 

J

 

Le jaune, c'est ce petit éclat dans l'iris de ton œil, qui luit quand tu es heureux, mais tu ne le sais pas.

 

L

 

La lumière, c'est un contre-jour. Mon enfant court au gré des vagues. Tout vibre, scintille, sa course soulève des perles d'étoiles et des éclats de rire. C'est la fin de l'été, derniers moments avant le retour à la ville humide, avant la rentrée où les ombres gagneront. Il y aura d'autres galopades, mais aucune ne produira cet éblouissement. Je fixe contre toute règle de la photographie, cette harmonie, cette vie en devenir, cet élan vital.

 

La lumière, ce serait savoir où est ma fille. Pourquoi elle est partie.

 

La lumière, c'est après mon arrêt cardiaque, retrouver mes amies, réussir à les reconnaître, pouvoir remarcher et jouer à nouveau aux cartes, au scrabble, à la pétanque.

 

 

 

M

 

La maison, c'est celle que je me suis construite, année après année, pour y trouver refuge. C'est là où je peux vivre tout ce dont j'ai rêvé ou envie de rêver. Un ancien clapier, un grenier à foin, une place pour chacun mais pas au même niveau. C'est la chaleur de la cheminée qui peut aussi continuer à faire des confitures… à l'occasion.

 

La maison, c'est un appartement. Il est rouge. Il a quatre pièces. Dedans, il y a moi, mon frère et mon ami. Moi c'est Mahomed, mon frère c'est Ahmed et mon ami c'est Alexandre. Nous jouons à des jeux vidéo et faisons d'autres choses. Je suis heureux parce qu’on est bien.

La mer, c'est à Montpellier, le soir, je suis avec mon cousin. Il s'appelle Juan. On monte dans un grand bateau, avec un moteur. Nous avons nos cannes à pêches. Bruit de petites vagues. Nous ne parlons pas parce que ça fait peur aux poissons. C'est la nuit, nous pêchons cinq poissons et je suis content.

 

Le mot, c'est l'émancipation.

Le mur, c’est la cicatrice de ma ville, Varsovie, ce mur de trois mètres de haut qui séparait les vivants de ceux qui étaient destinés à la mort. Les Polonais des Juifs. Ghetto 1940. Ma vie a changé quand m'a été révélé que j'appartenais à la communauté de ceux pour lesquels on a construit les chambres à gaz. Pendant des années, j'ai collecté des histoires des deux côtés du mur. Ce mur est en moi. De temps en temps il augmente et m'étrangle.

 

 

p

 

Le père, c'est celui qui me coiffait et m'aidait aux devoirs. J'apprenais avec lui à conduire le tracteur et à ramasser les asperges, à tailler la vigne. C'était un gros travailleur, il coupait le bois, s'occupait des animaux, poules, canards, vaches. Il était doux, gentil, grand, avec des yeux bleu foncé. Il était paysan et il s'appelait Louis. Il était mon pilier.

 

Le père, c'est le mari de ma mère. Un bel homme, bien sous tous rapport, pas grand, enfin taille moyenne. Le soir il était fatigué. Il était commerçant. Il portait le lait de porte à porte Quand il en restait, il faisait du fromage blanc qu'il revendait. Les gens le salaient ou le sucraient. Ses fromages étaient toujours très bons, parce qu'il était très propre. Il les mettait dans des vanneries en forme de cœur. Il avait beaucoup de courage. Moi je n'étais pas très fromage blanc. Il n'avait pas beaucoup de temps, le pauvre. Je l'admirais. Il était capable et soigneux, très soigneux.

 

Le père, c’est un piano fermé à clé. Une musique et un cœur hors d’atteinte, que je tente d’imaginer. 

 

Père, c’est une force de la nature, généreux, altruiste, loyal. J’ai ressenti chez lui une frustration contenue de ne pas avoir choisi sa vie : alors qu’il se rêvait rugbyman, il était paysan.

Le piano, c'est le jour de l'audition publique à l'école de musique ; j'ai huit ans.  Nous sommes seuls, face à face, sur une scène immense et je ne sais pas si je vais arriver à produire un son qui sera celui qu'on attend et qu'hélas on entend. Je me raccroche à son clavier soyeux, mes yeux effleurent l'ébène qui luit d'un éclat protecteur. Mes petits doigts martèlent mécaniquement, déroulent la partition. Une dernière portée et c'est fini. Les applaudissements fusent mais me laissent de marbre. Aucun rapport avec ce que je viens de vivre.

 

Le passé, c'est le goût des bonbons à la violette que me donnait une vieille tante. Ce bonbon délicieux en forme de fleur qui fondait sous ma langue et dont je n'étais jamais rassasiée. Pourquoi le bonheur fond-il si vite ? J'ai été très déçue quand j'ai mangé une violette, la jolie fleur n'avait pas le goût des bonbons !

 

 

R

 

 

Le rouge, ce sont les chansons de lutte, l'internationale, la Bella Ciao, des drapeaux qui flottent dans les larges avenues de Toulon. J'ai seize ans, je suis avec des amis, portée par l'enthousiasme chaleureux des rires et des chants. Chacun et chacune se sent une partie d'un tout qui enveloppe et rassure : t'es pas tout seul !

 

S

 

Le silence, c'est un refuge dans lequel je me mets pour ne pas dire des choses de la vie qui sont pour moi anormales. « Est-ce normal que des parents voient partir leurs enfants ? »

Donc, je me tais.

Le silence, c'est la nuit, ouvrir une fenêtre et écouter. Tiens un chien qui aboie. Silence ! Un oiseau qui bavarde à tue-tête puis se tait. Des feuilles qui tremblent et murmurent. Tout se calme. Je m'endors.

 

Le silence, c'était mon quotidien chez mes parents. Le dernier rempart avant les insultes, avant la haine. La seule chose qu'ils aient vraiment partagé.

 

Le silence, c’est le mot que mon père hurlait le plus souvent.   

 

 

V

 

Le vélo, c'est en Grèce, dans une soirée à treize ans avec les copains sur une route en train d'essayer d'être plus rapide et de ne pas faire un accident, être excité et avoir peur en même temps.

La vitesse, c'est en voiture avec mon cousin. Je m'assieds devant, à côté du conducteur. C'est l'été, les fenêtres sont ouvertes, on écoute trop fort la musique de Morad et on fonce dans la nuit.

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