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Si les mots nous étaient contés

Ici seront retranscrits les textes collectés et reçus qui vont étoffer au fur et à mesure ce grand dictionnaire collectif. Merci à toutes et à tous pour vos contributions. 

A

L'amour, c'est la vie partagée.

 

L'amour, c'est la guérison de ma maman, Georgette, grâce aux soins de sa mère. J'avais une petite sœur au berceau. Mon petit frère n'était pas encore né. Nous habitions dans l'Aisne, une maison avec un grand jardin et des arbres fruitiers. Elle était paralysée complètement. Au début, ma grand-mère lui donnait à boire avec une plume, lui humectant simplement les lèvres, puis au verre et ensuite à la tasse. Ce fut un miracle. C’est ça l’amour.

 

L'amour, c'est celui de mon mari, James, perdu trop tôt d'une terrible maladie.

 

L'amour, c'est une réaction chimique. Ma copine d’Espagne, Camille. Ses cheveux courts, ses yeux bleus.

 

L’amour, c’est la rencontre entre deux âmes qui ne veulent pas mourir. Alors, d’époque en époque elles se cherchent, se courent après. Parfois s’accordent quelques pas de danse. Et quand ton regard devant moi s’éteint, je me dis qu’il leur arrive aussi d’être fatiguées.

L’amour c’est le cadeau que la vie a su m’apporter : un sentiment d’une telle plénitude qu’il ressemble à s’y méprendre au bonheur.

 

B

 

Le bateau, c’est le refuge. La tanière. Mes cheveux sans peigne, le temps sans rendez-vous : l’horloge qui s’arrête. Mon corps souple et fragile dans sa coque dure. C’est son cœur qui bat la vague quand le mien cesse, ses bras qui m’enlacent quand je pleure. C’est la joie de l’effort et mes mains caleuses sur ses bouts salés.

 

Le bleu, c'est au petit matin, la fumée de ma gauloise, son odeur se mêlant à celle humide de l'herbe fraiche. Les arbres qui bordent la terrasse tremblent doucement et j'entends au loin les chiens des granges alentour, leurs yeux crevant l'aube, leurs pattes raides et leurs cous tendus, aboyer au soleil qui se lève. Je ne bouge pas, je ferme les yeux, je souffle doucement le bleu de ma cigarette qui se dilue dans la transparence de l'air.

 

Le bonheur, c'est la naissance de ma fille. J'avais tricoté tout son trousseau. Elle a été mon seul enfant, le bonheur de ma vie.

 

Un bateau, c’est beau un bateau, c’est grand et cela permet de voyager pour découvrir l’eau.

 

Le bout du monde, c’est beau, il y a des animaux, du vide et de l’eau.

 

Bientôt, c’est juste derrière la porte fermée.

 

Un bateau, c’est ce qui sépare l’air de l’eau.

 

Le bout du monde, c’est l’endroit où on revient sur ses pas.

Le bois, c'est le cadre du miroir que tu m'as offert pour mes 18 ans. C'est toi qui l'avais fabriqué. Pas spécialement pour me l'offrir. Je voulais un cadeau fait par toi. Une trace d'un bel objet que tu savais fabriquer, car tu étais menuisier à la grande époque du formica et du contre-plaqué. Ce miroir avait un cadre en bois aux moulures imposantes et harmonieuses à la fois. Il était solide, il pourrait m'accompagner longtemps. Un petit bout de bois. Un peu de toi auprès de moi.

 

Le bleu, c’est l’essence du plus gros être vivant que la Terre n’ait jamais porté : moi, baleine bleue, qui prends ma couleur quand je m’approche de la lumière.

C

 

Le carnaval, c'est l'odeur des pralines et de la barbe à papa. C'est une orgie de couleurs avec les costumes bigarrés de la foule travestie, de sons avec la musique, les exclamations, les cris de joie et les rires. Tout ça nous soule et nous excite ma sœur et moi. Puis résonnent les trois coups de canon et le défilé commence. On attend avec impatience, sous le brillant soleil de Nice, assises sur la tribune en bois de la Place Masséna, l'arrivée du char de sa majesté Carnaval. C'est le roi de la fête, grotesque, énorme et un peu effrayant qui va nous faire pleurer de rire, mais dont le souvenir viendra longtemps hanter mes cauchemars d'enfant.

 

La chaleur, ce sont ces quelques jours passés avec mon mari Jacky, au bord de la mer. Il y avait aussi sa fille, Carole, notre fils Fabien dans son couffin et Bob, notre gentil berger allemand. C’est dans mon souvenir le sable brûlant, les moustiques, le beau temps ; le bonheur.

 

Le chien, c'est le jeu.

 

Courir, c’est tenter d’attraper son ombre.

La cabane, c’est cet espace qui fait maison, qui fait de quatre murs un chez-soi, qui fait être soi, un espace suspendu où il fait bon se mouvoir sans contrainte. La cabane où l’on invite les êtres chers à venir se reposer, se panser et à discuter autour d’un thé. C’est cet espace qui nous appartient entièrement, dont nous faisons partie de manière intégrante, un reflet et un prolongement de nous-mêmes.

 

Le chien, c'est celui que nous avions récupéré auprès d'un berger mécontent. Battue, maltraitée, cette chienne était devenue craintive et obéissante. J'aimais la voir se tortiller en remuant la queue lorsqu'elle était contente de nous retrouver. Une danse rien qu'à elle ! Elle avait un long poil noir que je ne brossais pas très souvent. Elle se couchait parfois sur mes pieds mais ce que j'aimais surtout c'est quand elle venait poser son museau au creux de mes genoux. Je posais mes mains sous ses oreilles et son regard plongeait longuement dans le mien. Nous nous parlions avec les yeux.

 

Le chemin, c'est la voie, c'est suivre son chemin, suivre sa route. Le chemin c'est la direction du mouvement physique et mental. L'idée de tracer ma route suit son chemin... cahin-caha, doucement. Si l'on veut avancer sur le chemin de la vie, il faut écarter toute agitation.

 

Le chat, c'est la douceur de la caresse, le réconfort du ronron salvateur, la présence du regard, l'indifférence parfois…mais aussi le coup de griffe, aussi soudain qu'inattendu qui vous sort de votre "état de grâce " et vous réalisez enfin que la vraie vie vous rattrape et la faim aussi...Miaou Miaou !!! Croquettes je vous aime...

 

D

 

Le départ n’est pas toujours lâche ou irresponsable, il peut être un moyen de ne pas étouffer. Partir peut être un cadeau qu’on fait aux autres et à soi-même avant de tout abîmer.

 

La dentelle, c’est celle de ces vieux rideaux blancs qu’à l’aube ma mère avait déballés d’un carton, sur le stand que nous tenions chaque année en famille pour la grande braderie d’automne. Destination : « À donner ». Nos yeux ensommeillés s’étaient soudainement animés, et ma sœur et moi avions pris en main l’affaire. La broderie ne se braderait pas ! Nous n’avions pas encore dix ans que nous nous mîmes en tête de découper les tentures en napperons pour les vendre à l’unité. Ma mère avait ri mais avait laissé faire. Toute la matinée nous avions harangué, savamment négocié. Nous avons fait fortune ce jour-là, et le bonheur des dames.

 

Les draps sont le nid dans lequel nous nous blottissons chaque nuit.

 

La danse, c'est un art inexplicable une sensation unique, une manière de s'exprimer indirectement. Le son qui se faufile à travers les oreilles et qui y reste en boucle. Monter sur scène restera à jamais une adrénaline incroyable. 

 

E

 

L’équilibre n’est pas un état, mais une confiance nichée en soi, comme un centre de gravité. La possibilité, après la tête sous l’eau ou les pieds dans le vide, de retrouver le fil et de continuer à le tisser, pas tout à fait le même, mais pas totalement autre. Égarement(s) – terreur(s) – deuil(s) – dérapage(s) – folie. On peut en revenir et dire : Voilà, je suis là.

L'équilibre c'est survivre sur le fil du rasoir. L'équilibre c'est garder la tête avec toute sa raison grâce à un cocktail chimique. C'est éviter de rechuter dans la psychose. L'équilibre c'est l'obésité, c'est le prix à payer.

 

L'enfant c'est une terre brute dans laquelle la beauté peut prendre tout son temps pour se révéler.

 

F

La ferme, c’est un lieu de solitude et d’ennui, je me revois  désœuvrée, adossée au mur dans la chaleur de l’étable regardant mon père couper des betteraves pour nourrir les vaches. Je me souviens du sentiment d’angoisse qui m’envahissait quand la météo menaçait les récoltes, source de revenus important pour toute la famille.

La fatigue ce sont les larmes qui roulent lorsque je m'endors.

Les fraises, ce sont des fruits que j’aime beaucoup. J’aime les planter et attendre qu’elles poussent. J’ai un jardin où je faisais pousser des fraisiers que mon mari m’avait ramené, avec des fraises déjà vertes. Elles ont mûries et sont devenues rouges. Elles avaient un vrai bon goût de fraises de France. Mais mes voisins ont jeté leurs poubelles dans mon jardin et ont brisé mon rêve d’avoir de bonnes fraises dans mon jardin. Cela m’a mise en colère et dégoutée.

La fulgurance, c’est la rapidité avec laquelle je me mets en ordre de bataille pour affronter tous mes maux, c’est une multitude d’étoiles scintillantes qui virevoltent autour de moi, l’étoile de l’amour, de l’espoir, de la beauté, de la passion, du rire, de l’énergie et de la détermination. C’est oser rêver car je garde l’espoir de faire quelque chose de ma vie, cette vie qui m’a été laissée, c’est l’éclair qui transperce le bouclier de la guerrière pour l’obliger à surmonter tous les défis. Tiens, je peux à nouveau dire merci !

 

Le fauteuil, c’est lui qui nous accueille pour nos conversations, nos instants de repos ou plus encore pour nous affaler avec l’intention de ne plus bouger un temps indéterminé.

I

 

L’image est un éclat du réel, pas sa totalité.

 

L’inattendu, c’est le futur qui réveille les choses.

 

L'indépendance, c'est comme monter dans une voiture sans aucune idée de la destination. C'est n'être relié par aucun fil. C'est tracer sa propre route.

 

L'italien, c'est mon père...absent, bien que présent. Ne pouvant nous parler en italien, car sa femme lui avait interdit de nous parler dans sa langue natale ; sous prétexte que ses enfants étaient Français. Elle ne voulait pas comprendre l'italien, donc accepter l'étranger. On refuse toujours ce que l'on ne comprend pas.

J

 

Le jaune, c'est ce petit éclat dans l'iris de ton œil, qui luit quand tu es heureux, mais tu ne le sais pas.

 

Jamais, c’est peut-être ce qui n’existe pas.

 

Jamais, cela peut être ne jamais devoir le faire mais cela peut aussi être ne jamais être fait.

L

 

La lumière, c'est un contre-jour. Mon enfant court au gré des vagues. Tout vibre, scintille, sa course soulève des perles d'étoiles et des éclats de rire. C'est la fin de l'été, derniers moments avant le retour à la ville humide, avant la rentrée où les ombres gagneront. Il y aura d'autres galopades, mais aucune ne produira cet éblouissement. Je fixe contre toute règle de la photographie, cette harmonie, cette vie en devenir, cet élan vital.

 

La lumière, ce serait savoir où est ma fille. Pourquoi elle est partie.

 

La lumière, c'est après mon arrêt cardiaque, retrouver mes amies, réussir à les reconnaître, pouvoir remarcher et jouer à nouveau aux cartes, au scrabble, à la pétanque.

 

La lumière, c’est la révélation de la beauté des choses.

La lumière, c’est jaune comme le soleil ; elle est belle et je l’aime.

La lumière de l’espoir est importante dans ma vie. J’ai des rêves pour le futur, une petite maison avec un jardin, beaucoup de fleurs, d’arbres et une source d’eau. Une table et des chaises entre les arbres. Que Dieu m’accorde une bonne santé et mes parents avec moi. Ces rêves sont une lumière d’espoir.

La lumière, ce sont les yeux au beurre noir, ce regard sourire de l’adulte qui a vu, ce sont les variations de couleurs qui évoluent, objet d’observation, le coquard capte les éclaircies. Mille chandelles, au choc, plus tard, l’autre attentionnée redonne à l’enfant une existence de quelque chose à rayons de lumière. L’œil scruté, œuvre d’art en cours, violet noir, rouge sang, rose clair, jaune étrange, puis, longtemps après, l’œil clair enfin retrouvé, luit. Dès « l’or », le khôl, mille fois appliqué, poudre ancestrale de femme et d’homme transgenre, je le laisse couler larmes noires. Encensé, le beurre noir, sucré, aujourd’hui dans la casserole enrobe les girolles de lumière.

La lumière, c’est celle du soleil à travers mes paupières fermées qui me réchauffe et me fait découvrir cette nature qui se réveille. C’est ce rayon de soleil qui fait briller la mer aux milles reflets la rendant vibrante, vivante, s’opposant à l’ombre, colorant le sable d’un blond chaud caramel. C’est la promesse d’une belle journée.

 Lumière étincelante et à la fois si douce aux couleurs « pastel » qui se reflètent sur les murs blancs des maisons et met en relief les paysages. Loin de  la grisaille de mon enfance, elle apparait comme un cadeau inattendu, évanescent et teinte le ciel d’un bleu insoupçonné et inconnu. Parfois cachée dans les musées, je la retrouve sur les tableaux de grands peintres, comme Rembrandt .En   quelques coups de pinceaux, elle est devenue leur alliée. Tel un insecte, je me retrouve  alors hypnotisée pendant des heures à regarder la vie émerger de ces visages d’autrefois. Elle a alors le don de faire oublier la pauvreté de l’époque et met en relief la douceur d’un visage ou les traits burinés d’un autre. Je remercie sans fin ces maîtres du clair-obscur qui ont su immortaliser ces rayons éphémères.

 

M

 

La maison, c'est celle que je me suis construite, année après année, pour y trouver refuge. C'est là où je peux vivre tout ce dont j'ai rêvé ou envie de rêver. Un ancien clapier, un grenier à foin, une place pour chacun mais pas au même niveau. C'est la chaleur de la cheminée qui peut aussi continuer à faire des confitures… à l'occasion.

 

La maison, c'est un appartement. Il est rouge. Il a quatre pièces. Dedans, il y a moi, mon frère et mon ami. Moi c'est Mahomed, mon frère c'est Ahmed et mon ami c'est Alexandre. Nous jouons à des jeux vidéo et faisons d'autres choses. Je suis heureux parce qu’on est bien.

La mer, c'est à Montpellier, le soir, je suis avec mon cousin. Il s'appelle Juan. On monte dans un grand bateau, avec un moteur. Nous avons nos cannes à pêches. Bruit de petites vagues. Nous ne parlons pas parce que ça fait peur aux poissons. C'est la nuit, nous pêchons cinq poissons et je suis content.

 

La mère, c’est le souvenir du vendredi, quand elle préparait le couscous. Un couscous de mouton délicieux, avec des légumes, des raisins secs, des poivrons rouges et verts piquants, des pois chiches, de la coriandre et des épices. Toute la famille était réunie et ça faisait du bien.

Le mot, c'est l'émancipation.

Le mur, c’est la cicatrice de ma ville, Varsovie, ce mur de trois mètres de haut qui séparait les vivants de ceux qui étaient destinés à la mort. Les Polonais des Juifs. Ghetto 1940. Ma vie a changé quand m'a été révélé que j'appartenais à la communauté de ceux pour lesquels on a construit les chambres à gaz. Pendant des années, j'ai collecté des histoires des deux côtés du mur. Ce mur est en moi. De temps en temps il augmente et m'étrangle.

 

 

Ce moment-ci, c’est juste le bon.

 

Une maison c'est un endroit familier dans lequel on se sent en sécurité. Au fil des années, elle garde les traces du temps écoulé et sur les murs se dessine l'histoire de ses habitants. 

Le musée, c’est…le mot en fait fuir certains, en attirent d’autres. Dans musée, il y a s’amuser, dans musée il y a musarder, dans musée il y a muses. C’est un sanctuaire, le lieu du beau, de la découverte, de la surprise, de l’instruction, de l’introspection, du voyage. Je m’assois. Je regarde. J’observe. Je me repose. Je parcours debout ou en restant statique. Parlez-moi, objets de Musée. Racontez-moi vos vies. Laisser-vous m’appartenir, le temps d’une visite…

La mère, c’est le cœur qui me maintient en vie, mon seul soutien. Il ne se passe pas un jour sans qu’elle ne m’appelle. J’ai beaucoup de souvenirs avec elle. Ma mère est ma meilleure amie. Elle a un beau visage innocent, comme les enfants. Même si elle est loin de moi, au Maroc, elle est très présente et trouve toujours les mots pour m’apaiser.

La mère, quand je dis ce mot, j’en ai des larmes aux yeux, que je n’arrive pas à retenir, parce qu’elle m’a donné la vie et la force. Je me rends compte à chaque instant des sacrifices qu’elle a fait, des nuits blanches passées et des rires partagés, des larmes essuyées. Même loin de moi, ma mère participe à mon bonheur, elle est là dans les moments difficiles et tristes. C’est une femme extraordinaire, la plus incroyable à mes yeux, une source d’inspiration pour nous toutes.

 

 

La mère, c'est l'amer des souvenirs, cette femme qui m'a porté pour la servir tel un doudou porté par un enfant. C'est la prison dans laquelle elle ma' enfermé tel un oiseau dans une cage. Heureusement le temps a fait son œuvre, la cage a rouillée, libérant l'oiseau et le doudou.

 

 

La mère, c’est un soleil dont la lumière éclabousse tous ceux qui l’entourent. C’est le goût de sa cuisine, l’amour mijoté avec talent. C’est la délicatesse des gestes, la tendresse des mots, la rondeur et la douceur d’un corps. La mère, c’est la barque qui me porte. C’est aussi, la vieillesse et la maladie, l’angoisse qu’elle murmure à mon oreille. Sa détresse infinie. C’est la petite fille que je berce doucement, ma bouche contre la sienne, pour respirer son dernier souffle. Ma mère a fait de moi une terre fertile et sa mort une enfant à jamais désolée.

                                           N

La nature, c’est la campagne de mon enfance, en Tunisie, avec ses grands champs de blés, les vaches, les chèvres, les moutons et le potager de ma mère, les fèves, les tomates, les poivrons. La nature, c’est le goût du lait frais de la vache et le beurre que faisait ma mère. C’est l’air pur et les oiseaux. C’est la vie sans téléphone et les repas ensemble. C’est l’époque que j’aimerais retrouver.

P

 

Le père, c'est celui qui me coiffait et m'aidait aux devoirs. J'apprenais avec lui à conduire le tracteur et à ramasser les asperges, à tailler la vigne. C'était un gros travailleur, il coupait le bois, s'occupait des animaux, poules, canards, vaches. Il était doux, gentil, grand, avec des yeux bleu foncé. Il était paysan et il s'appelait Louis. Il était mon pilier.

 

Le père, c'est le mari de ma mère. Un bel homme, bien sous tous rapport, pas grand, enfin taille moyenne. Le soir il était fatigué. Il était commerçant. Il portait le lait de porte à porte Quand il en restait, il faisait du fromage blanc qu'il revendait. Les gens le salaient ou le sucraient. Ses fromages étaient toujours très bons, parce qu'il était très propre. Il les mettait dans des vanneries en forme de cœur. Il avait beaucoup de courage. Moi je n'étais pas très fromage blanc. Il n'avait pas beaucoup de temps, le pauvre. Je l'admirais. Il était capable et soigneux, très soigneux.

 

Le père, c’est un piano fermé à clé. Une musique et un cœur hors d’atteinte, que je tente d’imaginer. 

 

Père, c’est une force de la nature, généreux, altruiste, loyal. J’ai ressenti chez lui une frustration contenue de ne pas avoir choisi sa vie : alors qu’il se rêvait rugbyman, il était paysan.

Le piano, c'est le jour de l'audition publique à l'école de musique ; j'ai huit ans.  Nous sommes seuls, face à face, sur une scène immense et je ne sais pas si je vais arriver à produire un son qui sera celui qu'on attend et qu'hélas on entend. Je me raccroche à son clavier soyeux, mes yeux effleurent l'ébène qui luit d'un éclat protecteur. Mes petits doigts martèlent mécaniquement, déroulent la partition. Une dernière portée et c'est fini. Les applaudissements fusent mais me laissent de marbre. Aucun rapport avec ce que je viens de vivre.

Le père, c’est un homme bon et généreux. Il travaille beaucoup et aimait beaucoup ma mère. Après sa mort, il n’a pas voulu se remarier. Il aime aussi beaucoup mes fils et leur achète toujours des cadeaux. Chaque jour, il m’appelle de Tunis pour prendre de mes nouvelles. Mon père, c’est le premier homme de ma vie et le dernier.

Un père c’est une émulsion de lettres, de voyelles et de consonnes qui se lient comme les images du passé figées sur du papier. Un père c’est une recette qu’on raconte, née de souvenirs ou d’idéalisation, peu importe tant qu’elle existe à travers nous. Un père c’est un arôme, celui de l’enfance gâchée, des années dépassées, des besoins bafoués.

Le passé, c'est le goût des bonbons à la violette que me donnait une vieille tante. Ce bonbon délicieux en forme de fleur qui fondait sous ma langue et dont je n'étais jamais rassasiée. Pourquoi le bonheur fond-il si vite ? J'ai été très déçue quand j'ai mangé une violette, la jolie fleur n'avait pas le goût des bonbons !

 

Le piano, c’est un instrument de musique qui donne des sentiments, quand je le pratique avec les doigts. Le corps se détend, il devient comme les notes, il flotte.


Le passé c’est une douce mélodie cynique, un poison coloré qui torture nos tripes, une infusion nourrie de pensées mélancoliques. Tel un charognard c’est pour le mal qu’il persiste. Le passé trouve sa puissance uniquement lorsqu’il existe.

Le parfum, c’est l’objet que j’ai toujours dans mon sac, car il me donne de l’énergie dans la journée. Grâce à lui, je me sens propre et très forte. J’aime qu’il soit frais et fruité.

Le piano, c'est le souvenir de soirées musicales au théâtre de Caen, entre 1975 et 1980, au cours desquelles nous entendions régulièrement une œuvre peu connue : le concerto pour 4 pianos de JS Bach. Ce qui était troublant, émotionnant, bluffant, c'était ce dialogue entre ces 4 instruments et artistes qui se faisaient face, dialoguaient entre eux pour arriver à la fin, à ne former qu'un seul son, qu'une seule voix.

Le piano, c'est la joie, l'énergie, la force vitale qui me permet de rebondir quand tout est sombre dans ce monde. Une journée chaude et écrasante de lumière, quatre notes s'échappent par la petite fenêtre fleurie de géraniums joyeux, et se mêlent délicatement au Mistral, inondant le jardin de la mélodie du bonheur... Dans leur course folle, vers le ciel, notes noires, notes blanches s'unissent à la perfection, offrant à notre cœur la plus belle des sonorités.

 

La poésie, c’est emmener au-delà du sens premier pour donner un sens qui met en jeu tous les sens.

R

 

 

Le rouge, ce sont les chansons de lutte, l'internationale, la Bella Ciao, des drapeaux qui flottent dans les larges avenues de Toulon. J'ai seize ans, je suis avec des amis, portée par l'enthousiasme chaleureux des rires et des chants. Chacun et chacune se sent une partie d'un tout qui enveloppe et rassure : t'es pas tout seul !

Le rouge, c’est la couleur de la vie car il exprime nos sentiments, c’est la couleur de la rose que j’offre et c’est aussi celle de mon visage quand je suis en colère.

 

Le rouge, c'est la couleur de l’excès comme l'interdit : feu rouge : il faut s’arrêter, de l'ordre : panneau stop rouge, de la faute : correction par le professeur : annotations en rouge, des émotions vives : rouge de colère, des premiers émerveillements : coquelicots rouges, de la séduction : escarpin rouge, de l'amour : roses rouges, de la passion, de la vie : rouge sang, de la violence : combat du torero avec la muleta rouge, d'un cap à ne pas franchir : alerte rouge. Le rouge ne laisse personne indifférent, c'est le symbole de la vie, de la mort, des passions, des excès, des dangers, de la violence.

 

 

La randonnée, c'est la première fois où nous sommes partis marcher ensemble. Avant, je cheminais plutôt seule. Chaussures inadaptées, chemins non balisés. Puis tu es entré dans ma vie et tu as commencé par m'équiper de véritables chaussures de randonnée. Grâce à elles, tous les sentiers pouvaient s'offrir à nous et ainsi nous avons commencé à arpenter des territoires enluminés. Notre première "lointaine" escapade fût le Mont Aigoual dans les Cévennes. Cape de pluie et chaussettes de laine en plein mois d'Août et le souvenir d'un pique-nique magique. Pieds nus dans l'herbe, l'alliance du fromage et des grains croquants de raisins blancs est un souvenir si fort qu'il me revient à chaque fois que j'associe ces deux ingrédients.

 

Le rêve, c'est l’échappatoire à la tristesse, à la morosité́. Je rêve, de gagner au loto, de retrouver l’être aimé, de jours meilleurs. Arrête de rêver ! ...Vis l'instant présent ; il t'échappe et ne reviendra pas. Alors je rêve d’arrêter le temps, d'un monde sans guerre. Le rêve porte ouverte à un monde meilleur ? ... sacré rêveur ! L'Homme ne se réveille pas, la terre est finie, mais il proclame la croissance infinie. Je crois rêver un mauvais rêve, non ? Mais la réalité́ n'est-elle pas dans le rêve ?

 

Le rouge, c’est la couleur de ma première paire de chaussures, adolescente emprisonnée. Posée sur mon oreiller, son odeur de cuir boisée cuivrée traverse mes rêves. Le rouge écarlate galope à vive allure, ses petits talons claquants, jument, je suis. C’est un rouge vif comme la pomme gala, un rouge sang tel les premières gouttes coulées de mon sexe. Les œillets de son cuir font de mes chaussures un corset avec lanières. Chaussures décolletées, rehaussées de quatre centimètres, différentes des baskets standards, initiatiques du passage vers un « monde mode ». Rouge augure d’autres rouges ; celui du sens interdit, porte de tous les écarts, adolescente en volte-face. Ces chaussures-là, je ne les porterai presque pas, elles fabriqueront mon étendard : désobéir si la loi est absurde, ça a, encore aujourd’hui, un parfum rouge cuivré qui me fait trembler et me donne des ailes.

 

La rencontre, c’est l’inouï, l’inattendu. Ce peut-être la magie de l’envol, la révélation ou la chute au fond du gouffre. Si la rencontre a été un basculement absolu de mon adolescence en personne déterminée et volontaire, c’est celle d’un professeur. Elle entre dans la classe, petite femme soignée d’une élégance discrète, un raffinement qui semble naturel. La voici qui regarde l’ensemble de la classe avec un « Bonjour mesdemoiselles et messieurs ! » Est-ce possible ? Le vouvoiement, la clarté respectueuse des mots énoncés…Qui sommes-nous donc pour recevoir la dignité d’un tel propos ? C’en était fait…j’étais une autre. J’aillais être moi me déclarais la profession à laquelle je me destinerais. Arlequin de la comédie humaine qu’est la vie, je savais soudain qui sourdait de mes profondeurs.

S

 

Le silence, c'est un refuge dans lequel je me mets pour ne pas dire des choses de la vie qui sont pour moi anormales. « Est-ce normal que des parents voient partir leurs enfants ? »

Donc, je me tais.

Le silence, c'est la nuit, ouvrir une fenêtre et écouter. Tiens un chien qui aboie. Silence ! Un oiseau qui bavarde à tue-tête puis se tait. Des feuilles qui tremblent et murmurent. Tout se calme. Je m'endors.

 

Le silence, c'était mon quotidien chez mes parents. Le dernier rempart avant les insultes, avant la haine. La seule chose qu'ils aient vraiment partagé.

 

Le silence, c’est le mot que mon père hurlait le plus souvent.   

 

Le silence, c'est est une bulle de calme, loin de l’agitation. Le silence est une atmosphère, c’est un apaisement, c’est le temps de l’admiration, c’est un enchantement.

 

Silence, c’est un mot qui vous parle avec douceur, qui vous fait entrer dans son intimité. C’est une pause, comme dans l’univers de la musique, d’ailleurs il commence par une note « si ». Silence rime avec ambiance, patience, indolence, jouissance, latence et j’inventerai « caressance », que des cousins par leur consonance.

 

Le silence c’est un lieu d’émergence. Cet espace précieux qui permet à mes oreilles ce que dit mon cœur. Le silence ne me nourrit pas. Le silence ne me déçoit pas. Il est cette rétention qui précède la poussée. Cette suspension douce et légère qui donne le courage de battre des ailes pour espérer, un bref instant, s’envoler.

 

Le sommet, c’est l’infini. Une fois atteint, un autre se révèle. Encore plus haut. Encore plus grand. Comme un miroir qui m’engloutit. Il est aussi vaste que je suis petite. Le sommet n’est pas unique, il est pluriel. Ils se succèdent, formant un passionnant chemin vers l’humilité.

 

Le silence, c’est apaisant mais tout seul cela fait peur.

 

Souvent, c’est un peu trop.

Le silence, c’est la sérénité et le calme en moi. J’ai besoin de silence pour me ressourcer.

 

Le silence, c’est le passage d’un doigt au creux de l’oreille, l’appareil auditif se détache et le silence s’étale, voluptueux.

Le silence, c’est, en ce vendredi saint, une chaleur étouffante, vision irréelle du Ventoux enneigé, voilé d’un halo orange de sable du Sahara. Les arbres où pointent de petits bourgeons verts s’ébrouent violemment. Le vent est bruyant. Je sors des courses, le cerveau happé, comme mangé par les néons, les rayons, le flon flon – pourquoi le silence est-il interdit dans ces lieux. Silence qui fait peur, mais le silence n’existe pas. « Réfléchissez le silence » dit le Psaume. Silence exaspérant du Christ devant ses bourreaux. Mise à mort, mise au tombeau. Les cloches vont se taire. Dimanche, elles sonneront à la volée dans nos villes et nos villages. Ce sera la joie du printemps et celle de Pâques. Il y aurait encore tant à dire sur le silence, mais on pourrait aussi se taire.

Le silence, c’est le son le plus assourdissant qui soit.

 

 

Le silence, c'est le précurseur de la mort. Le silence vous enveloppe, vous emprisonne, seuls les battements de votre cœur sont là pour rythmer le vide. Le silence est source d'angoisse, de l'absence de vie, d'un questionnement sans réponse, même les mots se taisent, par contre les maux peuvent s'y déployer. Le silence peut être également un lieu de recueil, un lieu de communion de soi avec l'univers, un lieu où l'on se ressource et où les mots petit à petit reprennent leur place et alors, seulement la vie redevient possible.

 

 

Le silence, c’est un nuage de pollen, une poignée de soleil qui ensemence la terre. Des gouttes de rosée qui cherchent leur chemin sur une tige nue. C’est le soleil qui s’endort derrière les montagnes. Les maisons éclairées du dedans et qu’on s’imagine sereines. C’est la nuit qui vient éclabousser le soleil.

 

Le silence, c’est la parole des opprimés diluée dans le fracas d’un monde satellite, un monde empêtré de cerveaux prisonniers de milles connexions.

 

Le silence, c’est l’horloge arrêté d’un clocher bombardé. Le corps d’un soldat à terre.

 

Le souffle, c'est la vie, j'inspire, j'expire, le va vient de ma poitrine me fait prendre conscience de l'instant présent. Le souffle d'une brise sur le visage, un matin d'été, c'est une caresse. Le souffle du mistral sur le visage, un matin d'hiver, c'est une claque ! Le souffle c'est la dualité, de la vie et de la mort, du yin et du yang. Quand je nais, le docteur m'accueille en me donnant une tape sur les fesses, je lance ma respiration, elle me brûle. Elle restera jusqu'au dernier souffle. Ce sera la fin du voyage.

S’arrêter : J’étais avec mon amie Violette et nous faisions un jeu de piste. À un moment, nous nous sommes trompées de chemin et avons longé une petite rivière. Nous courrions toujours dans cette voie et puis soudain Violette a voulu s’arrêter. Le lieu était bordé d’arbres et de soleil. Alors que je ne pensais qu’à repartir, elle m’a dit, écoute le clapotis de l’eau. C’était calme, reposant, envoutant. Plusieurs mois plus tard, quand nous en avons reparlé, elle ne comprenait toujours pas que je n’admire pas cette si belle nature. Elle avait raison de s’extasier ainsi car je n’ai jamais revu un tel paysage.

 

 

Le silence, c'est notre espace de communion. Lorsque je déjeune avec mon fils, le silence s'installe souvent. Ce n'est pas un silence pesant mais plutôt une bulle dans laquelle nous déambulons librement. Nos regards s'échappent vers les horizons familiers : les feuillages de l'immense plaqueminier dans le jardin, le mur du voisin, le lumineux Mont Ventoux, la table de ping-pong qui a remplacé le bac à sable...Selon l'emplacement où nous sommes, les idées rebondissent différemment. Parfois je croise ses yeux rieurs et je me demande où son esprit a bien pu se poser !

 

Le Silence, c'est Mon Silence. Je ne le partage avec personne. J'aime écouter ce qu'il me murmure à l'oreille. Pour moi, le plus beau, le plus intense est celui qui m'envahit, au petit matin, entouré des Hêtres sans âge, dans ces belles forêts du Mont Serein, dans cette lumière presque divine, où les rayons du soleil encore timides, percent les cimes, et illuminent délicatement les troncs de ces gardiens majestueux… Celui des premiers matins du monde, celui qui m'unit à jamais à la beauté enivrante et apaisante de Mère NATURE.

 

Le silence, c'est un refuge dans lequel je me mets pour ne pas dire ce que je ressens ou ce que je n'apprécie pas, donc je garde tout pour moi.

 

Le silence, c’est un jardin où même les oiseaux comprennent et se taisent.

 

Le sourire, c’est moi qui fais des sourires à longueur de journée. Le beau sourire forcé qui ronge de l’intérieur et ne laisse rien paraître à l’extérieur – ah si, il laisse paraître une personne qui a confiance en elle alors que c’est faux.

 

Le silence, c’est entendre mon cœur battre. Tout se tait mais à l’intérieur ça cogne, ça frappe, ça tambourine. Palpitations régulières et rassurantes. Le silence c’est redécouvrir cette vibration intime que je suis seule à écouter.

 

Le silence, c’est le vide entre le coup de fusil du chasseur et les aboiements des chiens. Cette seconde en suspension où le monde semble s’arrêter. Immobilité, calme avant la tempête, la chute du gibier et la folie des chiens affamés.

 

Le silence, c’est quand nos yeux se croisent. Fête chez les voisins, lumières arc-en-ciel, les bruits, la musique trop forte, les clopes, les rires et le vin. Puis soudain, dans la folie ambiante, tout se tait pour moi. Dissoute dans tes pupilles, je n’entends plus un son.

 

Le silence, c’est le froid de la forêt une fin d’après-midi. La lampe de poche faiblit…Aucun son, aucun bruit, pas de signe lumineux autour de moi. Un violent sentiment d’abandon me saisit, quelque chose en moi tressaille, me prend à la gorge. Obscurité et silence font remonter en moi le silence glacial du long couloir, le noir de l’escalier et de la cave sinistre, domaine des araignées. Cette forêt devenue hostile après la promenade douce et bienfaisante m’a renvoyé à la peur de la descente à la cave. Je devais aller chercher quelque objet oublié de Papa. Ne rien dire, surmonter la panique intérieure : le silence des lieux, le pesant silence de ma peur.

 

Le silence, c’est celui que j’espère et attends avec impatience quand les cris des enfants dans la cour se font agressions. C’est aussi celui que j’enviais dans chacune des administrations dans lesquelles j’ entrais et qui me revoyaient à cette bibliothèque de mon enfance fraîchement créée dans une aile du château Stanislas où travaillait ma mère et où j’avais plaisir à l’y rejoindre tant pour lire que pour l’aider à rafistoler, à couvrir des tas de livres neufs ou anciens. J’aimais ces moments partagés, si rares à l’époque. C’est également là que je retournais certains soirs ou week-ends alors que ma vie hospitalière était remplie de bruits aussi divers qu’incessants comme ce maudit téléphone qui ne nous laissait aucune minute de répit, ces alarmes qui se déclenchaient dès que les patients bougeaient un peu trop et faisait tomber leurs capteurs ou pire lorsque celles-ci annonçaient, ce que je redoutais toujours, un arrêt cardiaque ou autres urgences. Ce bruit permanent m’accaparait, m’envahissait. Je n’avais  qu’une envie, sortir de là et me retrouver seule chez moi, pour méditer ou me promener dans cette forêt amicale. Son silence était et reste  mon réconfort, ma bouée de sauvetage, mon ancrage. La  douceur  qui l’accompagne apaise alors mes pensées et m’en libère. Je le retrouve toujours avec joie, car il me permet d’être moi-même et d’entendre ma voix intérieure. Il me rapproche de la vie, la vraie, celle qui existe sans l’intervention de l’humain. Grâce à lui je peux à nouveau affronter le monde moderne avec ses bruits inventés de voitures, klaxons agressifs, motos, musiques assourdissantes, avions, paroles inutiles. Le bruit me rend malade, je ne suis définitivement pas faîte pour cette vie urbaine. Le silence est mon sauveur. 

Quel paradoxe quand celui-ci a longtemps été mon pire ennemi, synonyme d’indifférence, d’inexistence, d’insignifiance, de grande solitude et aussi d’anonymat. Il était la cellule de cette prisonnière, autrefois sans voix, que j’étais où peurs, angoisses, tristesses, incompréhensions me tenaient enfermée.Comme un rubik’s cube aux multi-facettes, ce silence semble s’accrocher à moi pour le pire, le meilleur et qui sait ce qu’il me réserve pour l’avenir …

T

 

 

Le temps, peut être au futur, le temps peut être pluvieux, le temps peut être au printemps mais pour moi, le temps ça passe vite.

 

Le temps, c’est ce qui n’existe plus ou pas encore.

V

 

Le vélo, c'est en Grèce, dans une soirée à treize ans avec les copains sur une route en train d'essayer d'être plus rapide et de ne pas faire un accident, être excité et avoir peur en même temps.

La vitesse, c'est en voiture avec mon cousin. Je m'assieds devant, à côté du conducteur. C'est l'été, les fenêtres sont ouvertes, on écoute trop fort la musique de Morad et on fonce dans la nuit.

La violence, c'est rapide et froid. C'est l'hôpital Sainte Anne au début des années 80. Deux infirmiers psychiatriques surgissent et me déshabillent de force. La violence c'est l'un d'eux qui m'étrangle à moitié. Aucun ne fait cas de mon extrême pudeur. C'est moi, dans un total désarroi, qui appelle mon petit ami mort depuis quelques mois. Je crie : « Arnaud !!! Tu sais très bien que j'ai horreur qu'on me voie nue ! »La violence, c'est se sentir projetée sur un lit, piquée par un puissant sédatif puis attachée pieds et poings par des poignets de cuir. La violence c'est passer tout ce qui me reste d'éveil à tenter de ramener avec les dents le haut de mon pyjama sur mon sein gauche, dénudé, totalement vulnérable.

 

La violence, c’est rouge, c’est mal mais ça défoule.

 

Le vert, c’est la couleur que j’aime, celle de la nature, de la naissance de toutes les fleurs. Quand je la vois, je me sens à l’aise.

La violence, c’est ce qui blesse, détruit, c’est ce qui me fait peur.

La violence, c’est le choc projeté en pleine face, l’inflammation des tissus qui s’en suit, le vide absolu et déconcertant où je me sens attirée, L’énergie dépensée pour comprendre. La lassitude des traitements auxquels je suis confrontée. L’accumulation des effets indésirables qui me laisse sans image. La Volonté de m’en sortir parce que ça je sais le faire. L’intérêt pour l’avenir qui enfin se dégage. L’envie de me projeter qui revient avec une force décuplée.

 

La violence, c’est ce qui m’a construite, quand tu es mort J-B. Tu m’as montré ce qu’était la violence, la mort, le suicide. Maintenant, j’ai cette violence ancrée en moi, avec des cicatrices visibles et invisibles, l’automutilation et les envies de suicides. 

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